Excessivement cher pour 5 francs ?
En janvier 1866, dans le Timbre-poste, mensuel édité par J.B. MOENS, on pouvait lire ceci :
En septembre de la même année, les choses se précisent :
A la veille de paraître ? Pas tout à fait. En réalité, le timbre à 5 francs ne sera mis en circulation qu'en novembre 1869.
L'accueil réservé par l'auteur à ce nouveau timbre n'est pas des plus enthousiastes, loin s'en faut :
Ainsi peut-on lire : " Le commerce... a été sauvé le 2 novembre, jour des morts ". (En réalité, le timbre a été émis le lundi 1er novembre 1869, mais chose singulière, n'est connu utilisé qu'à partir de juin 1870)
En guise de baptème, de cérémonie d'accueil, MOENS s'exprime sans ambages, et d'entrée procède à un enterrement de 1ère classe du nouveau timbre. La suite de l'article n'est guère plus chaleureuse : " Ce qui nous paraît moins heureux, ce sont ces grecques qui semblent les compagnes obligées de l'empereur, tout en faisant une allusion peu flatteuse pour le souverain. "
Ces propos me semblent assez sibyllins, comprenne qui pourra. Bien sûr, tout le monde sait qu'une grecque est : " Un ornement composé d'une suite de lignes brisées à angles droits et rentrant sur elles-mêmes. "
Où est l'allusion peu flatteuse pour l'empereur ? Faut-il y voir une référence aux moeurs des grecs anciens dont Littré donne la définition suivante : " Débauche grecque, débauche contre nature, ainsi dite à cause du vice qui infectait l'antiquité. "
Faut-il y voir une allusion aux Hellènes chantés par l'ami Brassens " Et m'crie " va t'faire, homme incorrect, voir par les Grecs " (Le pornographe) ?
A vous d'en juger.
L'article se conclut en beauté : " Calino (1) a qui nous avons montré le timbre, l'a trouvé excessivement cher pour 5 francs. " Ici encore, il nous faut interpréter ces propos car à la vérité, 5 francs c'est 5 francs. Un point c'est tout. L'auteur voulait peut-être nous dire que pour ce montant l'Administration des Postes aurait pu fournir aux utilisateurs un timbre d'une autre facture, techniquement nettement plus abouti à l'image des fiscaux américains de la même période ?
Toujours est-il que de nos jours, ce 5 francs de l'Empire exerce toujours un certain attrait sur le collectionneur. Par ailleurs si mes aïeux avaient eu la bonne idée d'acheter à l'époque un de ces 5 francs, l'affaire n'aurait pas été si mauvaise pour les héritiers. En effet, un beau 5 francs neuf comme celui-ci :
5 francs proposé par ROUMET dans sa dernière vente
cote 9 000 € et est proposé au prix de départ de 1 800 €. Pour 5 francs, fussent-ils de 1869, l'investissement me semble rentable, n'est-ce pas ?
Lors de l'émission du timbre-poste à l'effigie de l'empereur à 5 francs, il existait 10 valeurs fiscales supérieures à ce montant. Ces valeurs s'échelonnaient du 5,50 francs :
au 10 francs :
Montant à débourser à l'époque pour ces 10 timbres = 77,50 francs, soit presque 4 Napoléon-or, bien loin des 5 francs qui rebutaient MOENS et ses amis !
Ces montants exorbitants ont évidemment rapidement découragé les collectionneurs au portefeuille peu garni. Seuls quelques collectionneurs fortunés ont pu se procurer ces timbres à l'état neuf à l'époque mais ils se sont assez rapidement lassés, on s'en doute. (NB. la seconde série à l'effigie de l'empereur, émise en 1871, dépassait quant à elle le montant astronomique de 210 francs !)
Citoyen belge, MOENS ne pouvait méconnaître l'existence des fiscaux émis par son pays en 1857. Là encore, les montants sont démentiels et vont bien au-delà de 20 francs :
Ces timbres neufs (de surcroît avec gomme d'origine) proviennent de ma collection de Belgique. Je n'en ai jamais vu d'autres exemplaires en plus de 30 ans de philatélie fiscale.
J'ajouterais pour finir en beauté, que nos amis d'outre-Quiévrain ont également émis la même année une autre série, cette fois pour les effets de commerce créés à l'étranger et payables à l'étranger au demi-tarif avec donc la plus haute faciale portant un montant de 25 francs :
Remarque : francs belges ou français, il s'agit bel et bien de francs-or.
Alors au final ? Excessivement cher pour 5 francs ?
(1) J'ignore qui est ce Calino. J'ai déjà vu mentionné le nom Camino comme étant celui d'un marchand philatélique de Paris. Est-ce le même ?