" L'andouille " de Vire
Les timbres humides, dits aussi timbres fixes ne portent en principe pas de cachet d'annulation. Ces timbres perdent leur valeur libératoire lors de la rédaction du support sur lequel ils sont apposés et n'ont donc pas, à la différence des timbres fiscaux mobiles, à être annulé.
Toutefois, dans le cas des timbres humides des affiches, des papiers-musique, des avis et annonces et des journaux, il était fréquent que l'impression typographique recouvre l'empreinte fiscale, ce qui ne constituait pas une annulation typographique à proprement parler mais était consécutif au fait que l'impression intervenait sur un support préalablement timbré.
Timbre des papiers-musique de l'an X
Il existe cependant un cas rare et relativement méconnu d'annulation postale sur les timbres humides de journaux.
En voici un exemple :
J'enfile à nouveau ma panoplie de Sherlock Bruno et vais essayer de décrypter et expliciter ce fragment coincé pour l'instant entre 2 pages de ma collection.
Premier indice : une date à la plume " juillet 1851 " ;
Deuxième indice : le timbre à gauche correspond à la griffe du timbrage à l'extraordinaire créée en application de la décision ministérielle du 19 février 1831. Elle présente l'avantage de nous renseigner sur le département d'origine, en l'occurrence le Calvados.
Troisième indice : " IRE " en caractères typographiques. Un petit tour sur le site internet des archives départementales du Calvados et hop voilà le résultat :
Le journal concerné est donc le " Journal de Vire ". En compulsant les archives numérisées, je tombe sur la confirmation que j'attendais :
Intéressons-nous maintenant à l'annulation postale de notre timbre humide. Ce timbre fait partie d'une série mise en service en 1851 en application de la loi du 16 juillet 1850. Le voici :
Cette série présente une particularité qui mérite d'être relevée : ces timbres sont à la fois des timbres fiscaux et des marques postales de franchise.
L'article 15 de la loi précitée nous en précise la destination : " Le timbre servira d'affranchissement au profit des éditeurs de journaux et écrits, savoir :
Celui de cinq centimes pour le transport et la distribution sur tout le territoire de la République
Celui de deux centimes pour le transport des journaux et écrits périodiques dans l'intérieur du département (autre que ceux de la Seine et de Seine-et-Oise) où ils sont publiés, et des départements limitrophes.
Les journaux ou écrits seront transportés et distribués par le service ordinaire de l'administration des postes. "
Mais, par une mauvaise interprétation de l'article 17 de la même loi, le receveur de Vire et c'est de là que vient le titre de ce billet du jour, a annulé postalement ce timbre.
Que dit cet article 17 ? " L'affranchissement résultant du timbre ne sera valable, pour les journaux et écrits périodiques, que pour le jour, et pour le départ du lieu de leur publication.
Pour les autres écrits il ne sera également valable que pour un seul transport, et le timbre sera maculé au départ par les soins de l'administration. "
Effectivement, il est bien indiqué que " le timbre sera maculé au départ ", mais cela ne concerne que les écrits autres que périodiques.
Or, " Le journal de Vire " était un hebdomadaire, par conséquent un périodique. Il n'avait donc pas à être annulé.
Si on prend le temps de feuilleter les différents n° de ce journal on constatera d'ailleurs qu'au fil des semaines, ces timbres sont annulés ou pas. Ceci peut nous laisser penser que plusieurs personnes sont donc intervenues au cours de l'année 1851 au niveau de l'Administration. L'honneur est donc sauf, et notre " Andouille de Vire " restera donc à jamais non identifiée ; il peut en effet s'agir du receveur ou d'un de ses suppléants. Pour l'honneur de l'Administration, nous dirons qu'il s'agit d'un de ses suppléants moins au fait des subtilités de la réglementation.
Je possède également une autre quotité utilisée dans le même contexte :
Ici, la quotité est de 2 ½ centimes et la date " juin 1851 ". Alors pourquoi ce tarif à 2 ½ centimes.
La réponse se trouve à l'article 14 de la loi du 16 juillet 1850 : " Tout roman-feuilleton publié dans un journal ou dans son supplément sera soumis à un timbre de un centime par numéro.
Ce droit ne sera que d'un demi-centime pour les journaux des départements autres que ceux de la Seine et de Seine-et-Oise. "
Ce qui nous donne donc : 2 centimes (article 15) + ½ centime (article 14) = 2 ½ centimes
Vérification :
2 ½ centimes liés à la publication du feuilleton Carmen (en bas à gauche).
PS : la compréhension et l'interprétation de la réglementation relative aux timbres humides des affiches, des papiers-musique, des avis et annonces et des journaux est un véritable casse-tête. J'espère avoir été suffisamment clair, sinon je veux bien qu'on m'affuble moi aussi du titre d'andouille !